« Les 50 choses à ne pas oublier de faire avant de mourir »…

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Georges Perec photographié par André Persltein.

Dans une émission de radio qu’on peut écouter sur le site de France Culture, et qui date de de novembre 1981, Georges Perec faisait une liste des choses qu’il ne voulait pas oublier de faire avant de mourir; liste initialement pensée à 50 éléments, elle n’en comporte en réalité que 37. C’est prenant d’écouter s’égrener ces rêves tantôt un peu fous, tantôt assez concrets et de l’ordre du faisable. Et c’est d’autant plus émouvant que Perec mourra quelques mois plus tard, en mars 1982…

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Papillonner.

Parfois, s’accorder de papillonner, non pour fuir l’épaisseur du temps, mais pour s’adosser à quelques aspérités : sentir là où c’est âpre, là où ça blesse, et méditer.

Miette.

Dans le poisseux et dans le gris, dans la répétition et le prévisible, dans l’agacement trop vif, malgré tout saisir quelque chose. Un presque rien, un trop peu, mais une miette quand même. Un léger décalage, qui aurait pu passer inaperçu, mais qui s’offre quand même, là, au détour de. Infime mais bien réel.

Il faudrait le recueillir et l’enfermer dans une boîte, le faire pousser dans une serre secrète au fond de son appartement.

Évidemment, on se contentera de le voir -c’est déjà pas si mal- et de ne pas l’oublier.

Attente.

Attendre un lendemain meilleur.
Attendre que quelque chose survienne.
Laisser juste le temps passer, en fait.
Faire, faire, faire, qu’au moins le temps n’ait pas été peuplé de vides.

L’illusion du millefeuille.

J’ai longtemps cru ou on m’a longtemps fait croire que les souvenirs s’empileraient sagement dans mon esprit comme un ensemble de strates bien ordonnées et tranquilles, consultables à loisir.
Évidemment il n’en est rien ! Au mieux, quelques images, comme des éclairs, à peine aperçues déjà évanouies.
Tout ceci est trop lacunaire, tout échappe.
Je le savais, au fond, moi qui ai toujours chéri les textes littéraires évoquant les traces et la mémoire, mais j’ai fait comme si…

Tout me va.

Prendre le bus permet parfois d’entendre de drôles de phrases, pour le moins étonnantes : « Tout me va et je me réveille comme je me suis couchée. »
J’aurais pu me pincer pour vérifier si ce n’était pas un yogi réputé qui se tenait là assis à quelques mètres de moi. Mais non, il s’agissait en fait d’une mamie toulousaine qui conversait avec une copine à elle, sûrement une autre mamie toulousaine. La phrase m’a clouée sur place, et j’ai ensuite suivi toute leur conversation, en quête d’une autre pépite. Ce fut la seule, mais elle suffisait à remplir ma journée.
Analyse.
Ma première compréhension de la phrase fut : je me contente de ce que j’ai, je m’adapte à toute situation et mon humeur est égale, le matin comme le soir, j’ai atteint l’ataraxie décrite par les sages antiques.
Ce soir, avec le recul, et avec un brin de mauvais esprit, je me dis qu’on pourrait aussi comprendre : je ne cherche jamais à obtenir plus ou mieux que ce que j’ai déjà (donc, en quelque sorte, je manque d’ambition); mon état étant le même au début et à la fin de la journée, je n’ai pas progressé.
La profondeur de la mamie toulousaine me séduit davantage ; j’opte pour la première interprétation.

Listes.

C’est une folie, c’est une manie, c’est un fantasme et une torture.
Je pourrais passer ma vie à rédiger des listes. Le temps aidant, elles pourraient acquérir la légèreté de l’insouciance. Perdre leur valeur d’obligation, leur poids culpabilisant (pas fait! réveille-toi, enfin!).
La liste porte en elle l’infini des possibles, supporte la brièveté comme la longueur déraisonnable.
Les listes maniaques s’écrivent dans le désordre, avant qu’un discret numéro ne vienne semer un peu de raison.
Les listes plaisantes n’énumèrent que le superflu et leur calligraphie rappelle l’ardoise noire de la salle de classe du CE2, modèle de majuscules établi à demeure contre les fenêtres vitrées du couloir.
La vieille liste, recopiée autant de fois que le volontarisme a refait surface, porteuse de ce que j’ai le moins envie au monde de faire.
La liste des invités d’un événement qui, parfois, n’a pas lieu, mais qui reste virtuellement profondément désirable.
La liste, évidemment, des livres à lire : la plus terrible et la plus excitante!

Pépite.

Si chaque jour je trouve une pépite, alors chaque jour vaut la peine d’être vécu.
Sur les chemins ordinaires, pas facile de trouver des pépites.
Alors je sème moi-même du plomb et j’attends les miracles de l’alchimie.
Parfois ça marche.

Expérience extraordinaire.

Moi qui croyais que les vacances estivales nécessitaient des expériences exceptionnelles pour mériter leur nom : la lecture intégrale de La Recherche de Proust, un voyage lointain et un peu dangereux, la décision de rester chez soi pour entreprendre le projet de toute une vie… je me trompais lourdement! Il suffisait en fait de s’occuper de ses pieds. Oui, très bêtement de décider que finalement, ses petits pieds considérés comme laids et à délaisser méritaient une véritable attention de quelques minutes. Il n’y avait qu’à les enduire d’un produit appelé « masque » pour les voir se modifier, devenir plus épanouis, peut-être même reconnaissants.
Pourquoi ne pas l’avoir fait avant ?
Je ne sais que dire.

Le médiocre agréable ou l’anti-exaltation.

Un film italien plus que moyen, téléphoné, comme on dit; moi qui ne suis en général pas très forte pour anticiper au cinéma, là j’avais à la fois le temps de pleurer et de savoir ce qui allait se passer. Eh oui, parce que c’était assez médiocre mais j’avais envie quand même d’être émue. (Par souci de maintenir le mythe italien, je n’indiquerai pas le titre).
Même la pizza du retour était moyenne, mais très agréable à manger.
Comme quoi, parfois, un peu de médiocrité fait du bien.