« Le jour où j’ai appris que j’étais juif » de Jean-François Dérec.

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C’est au Théâtre du Petit Montparnasse, et c’est un spectacle très fin et juste. L’humour est présent, mais pas à tout prix, et sans jamais verser dans la facilité. C’est à la fois le portrait d’un petit garçon dans la France des années soixante, et un questionnement sur son identité, peu à peu découverte et comprise. L’interprétation est impeccable. Courez-y si vous êtes à Paris, précipitez-vous sur le livre autobiographique qui a inspiré le spectacle sinon.

Pour tout savoir, c’est ici.

« Call me by your name » d’André Aciman, traduit par Jean-Pierre Aoustin.

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Le film de Luca Guadagnino m’avait enchantée, découvrir le texte qui a inspiré l’adaptation fut un délice. L’écriture d’André Aciman me donne envie d’imaginer que c’est ainsi que Proust aurait écrit s’il avait vécu aujourd’hui ! L’analyse du sentiment amoureux, du désir, des ajustements permanents de soi au monde et à l’autre sont d’une justesse émouvante. L’humour, et la question de la judéité sont aussi présents. En refermant le livre : nécessité de l’amour, de la lecture, de l’Italie.

« Appartenir » de Séverine Werba.

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Les mots de Séverine Werba sont simples et puissants, placés sous le signe de Georges Perec tirés de W ou le souvenir d’enfance : J’écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture : leur souvenir est mort à l’écriture; l’écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie. La trace prend la forme de questions, plus nombreuses que les réponses, et de silences douloureux, qui peuplent les nuits de cauchemars. Dans ce premier roman publié en 2015, la narratrice comprend après la mort de son grand-père Boris combien elle ignore le passé de sa famille, les circonstances précises des disparitions, des séparations et des morts.

Je témoigne d’un non-témoignage, je témoigne d’un silence, d’un trou laissé par la souffrance. Je témoigne d’une amputation. Je n’ai rien vu de mes yeux, je n’ai pas de souvenirs, je n’ai pas connu ceux qui sont morts et pourtant ils m’importent. (p. 135)

Sur un sujet semblable, la Shoah, Séverine Werba écrit presque à l’inverse d’un Ivan Jablonka mais avec une émotion et une justesse égales. Un grand texte.

« Sous la même étoile » de Dorit Rabinyan.

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Voilà le roman qui me donne envie d’écrire de nouveau sur ce blog, après plusieurs mois de quasi-silence…

C’est la polémique qui m’aura fait connaître ce livre et je dois dire que ce fut une lecture prenante et émouvante. Le titre français -qui n’a rien à voir avec le Geder haya hébraïque, littéralement Mur végétal– laisse imaginer une romance à l’eau de rose, mais il n’en est rien : Liat est israélienne, ‘Hilmi palestinien, mais leur histoire d’amour new-yorkaise n’est pas simpliste ou stéréotypée. Bien au contraire, j’ai aimé la subtilité et la beauté des états amoureux et de l’autre vu d’un point de vue unique et original. Politique, le texte l’est forcément, et dans un sens plein. A lire !

« L’origine de la violence » de Fabrice Humbert.

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L’origine de la violence de Fabrice Humbert est une sorte de roman-essai qui s’interroge sur la violence et la question du Mal. Le point de départ est un voyage du narrateur, professeur en voyage scolaire en Allemagne, qui découvre dans le camp de Buchenwald une photographie représentant Erich Wagner, le médecin du camp, et un homme ressemblant à son propre père. Il décide alors de mener une enquête pour découvrir l’identité de cet homme. Le texte oscille de façon réussie entre enquête historique, mise à jour d’un secret de famille et réflexion sur le métier de professeur. L’écriture est fluide, le propos intéressant, c’est un bon roman.

« Rue des voleurs » de Mathias Enard.

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J’étais prêt au départ. Je n’avais plus de famille depuis près de deux ans, plus d’amis depuis deux jours, plus de valises depuis deux heures. L’inconscient n’existe pas; il n’y a que des miettes d’information, des lambeaux de mémoire pas assez importants pour être traités, des bribes comme autrefois ces bandes perforées dont se nourrissaient les ordinateurs; mes souvenirs sont ces bouts de papier, découpés et jetés en l’air, mélangés, rafistolés, dont j’ignorais qu’ils allaient bientôt se remettre bout à bout dans un sens nouveau. La vie est une machine à arracher l’être; elle nous dépouille, depuis l’enfance, pour nous repeupler en nous plongeant dans un bain de contacts, de voix, de messages qui nous modifient à l’infini, nous sommes en mouvement; un cliché instantané ne donne qu’un portrait vide, des noms, un nom unique et pourtant multiple qu’on projette sur nous et qui nous fabrique, qu’on m’appelle Marocain, Maure, Arabe, immigré ou par mon prénom, appelez-moi Ismaël, par exemple, ou ce que vous voudrez -j’allais bientôt être fracassé par une partie de la vérité et regardez-moi courir dans Tanger (…) (pages 105-106)

Cet extrait du roman de Mathias Enard, Rue des voleurs, publié en 2012, donne une bonne idée du style riche et précis de l’auteur, comme de la complexité du personnage narrateur, toujours en mouvement. Lakhdar est en effet un être de fiction fascinant et attachant, porté par ses lectures polyglottes, des classiques arabes aux Série noire françaises, en passant par les livres espagnols qui traînent. Amoureux, il sublime Judit, tant par la fougue de sa jeunesse que par la puissance de la poésie. De Tanger à Barcelone, en passant par Tunis, le roman mêle les langues (arabe, espagnole) et fait de l’exilé une figure politique et littéraire fabuleuse. Un excellent roman, qui me donne envie de lire encore du Mathias Enard.

« Mon père sur mes épaules » de Metin Arditi.

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Metin Arditi, romancier dont j’avais beaucoup apprécié Le Turquetto (2011), fait ici le portrait de son père, mort il y a vingt ans. Il réfléchit sur la façon dont la mémoire s’arrange de la vérité pour moins nous embarrasser. Il cherche à dire la spécificité de la relation à son père, en voyageant et en retrouvant des lieux emblématiques. Mais rien ne se passe comme prévu, et l’écriture lui fait dire ce qu’il n’attendait pas non plus. C’est un texte simple, touchant et juste. Au-delà de la figure paternelle en Sépharade germanophone (page 120), en homme doux et froid, en amoureux des livres, c’est la force de l’amor fati qui m’a le plus frappée et qui donne toute sa profondeur à ce livre :

le secret du bonheur est dans la répétition de chaque chose que nous a offerte la vie. Il faut vouloir la revivre, dit Nietzsche, encore et encore, dans chacun de ses événements. Il a donné un autre nom à sa grande idée. Amor fati. L’amour du fatum. De la destinée. (page 18)

« La belle et la meute » de Kaouther Ben Ania.

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Ce film tunisien est admirable et sa violence, jamais complaisante, coupe le souffle pendant une heure quarante. L’actrice Mariam Al Ferjani, qui incarne une étudiante victime d’un viol par des policiers, est formidablement juste dans son interprétation. La tragédie est terrible, et en a tous les ressorts, du burlesque du policier feignant l’idiotie au final libérateur. La tragédie est profondément politique et Mariam, faute d’obtenir réparation, accède à la dignité par la force de son verbe.

« Brooklyn yiddish », un film de Joshua Z. Weinstein.

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C’est l’histoire de Menashé -titre original du film- et de sa lutte pour être reconnu comme un père capable de s’occuper de son fils, Ruben. Son épouse est morte un an plus tôt, et la loi talmudique, telle que l’interprète la communauté hassidique dans laquelle il vit, lui interdit d’élever seul son fils. Menashé doit affronter les jugements de son frère, jugé plus apte à s’occuper d’un enfant puisqu’il a une « famille normale ». Le père et le fils sont touchants. La photographie, très belle, magnifie les personnages, même dans les scènes les plus ordinaires ou réalistes. En suivant la façon dont le personnage principal s’efforce de devenir un mensch, le spectateur s’attache finalement à une histoire universelle, qui dépasse le microcosme d’un milieu ultra-orthodoxe à New-York.